septembre 1944: la Libération de Frameries


  • Le long texte ci-dessous, produit de longues heures de recherche, de recoupement, et d'écriture, n'a pas pour but de faire le tour complet du panorama complexe de ces jours compliqués, mais bien d'offrir aux framerisois d'aujourd'hui une possibilité d'embrasser l'envergure et la brutalité des opérations qui se déroulèrent sur le territoire de Frameries en septembre 1944 - et aussi de réinscrire des rues et paysages familiers dans la perspective d'événements historiques.
  • Si vous possédez des informations complémentaires (ou contradictoires), si vous connaissez des anecdotes, si vous souhaitez faire valoir des documents d'époque (photographies, etc) n'hésitez pas à nous contacter : memoiresdeframeries@outlook.be











Le 2 septembre 1944, les allemands refluent.

Le 2 septembre, les 4 pavés de Frameries seront, tout le long de la journée, les témoins du passages de colonnes allemandes ainsi que des soldats isolés, parfois motorisés. L’arrivée des Américains est prévue pour 15h. Les habitants sont invités à rester chez eux – la Résistance veille.

En milieu d’après-midi, un sous-officier de la Feldgendarmerie est abattus par des Résistants à hauteur de la ferme Lambert. Lorsqu’une colonne allemande voit le corps un peu plus tard, il est clair que la vengeance est à l’ordre du jour. Elle est toutefois encerclée par une cinquantaine d’homme du Front de l’Indépendance qui les enferment dans une cave.

Vers 16h, un convoi motorisé tractant des canons de 105 et 150mm est arrêté sur la route de Bavay. Quatre soldats allemands entrent chez un riverain, Léon Decaluwe. « Aujourd’hui nous battons en retraite face aux Américains. Mais mangez bien du chocolat car nous serons de retour pour Noël ».

Au cœur de Frameries, à la Vieille Place, on voit passer de nombreux soldats allemands.

Un peu plus tard, le drapeau belge, caché depuis 4 ans, est hissé au local du Royal Cercle Choral.

Carrefour de la rue Ferrer et de la rue Bois Bourdon : des véhicules américains, venant de Genly, font leur apparition. Une jeep de reconnaissance s’arrête à l’entrée du Pont du Berger, un char la suit. Le convoi, impressionnant et ininterrompu, emprunte la rue de Genly tandis qu’un char Stuart se poste rue Ferrer, le canon pointé en direction des 4 pavés. Presqu’aussitôt, la nouvelle se répand, et les citoyens sortent fêter leurs libérateurs.

17h 25, le convoi emprunte la rue des dames. Les villageois se pressent sur le pavé : c’est le délire !

Pendant ce temps, une petite colonne hippomobile allemande escortée d’une vingtaine d’hommes tente d’emprunter la route de Bavay. Deux chars U.S. s’extraient du convoi (carrefour Ferrer-Bourdon) et prennent la direction du carrefour de la mort. La fusillade éclate et c’est la débandade allemande.

La Clinique de Frameries est réquisitionnée et placée sous les ordres des médecins de l’Armée Secrète. Tous les blessés, sans distinction de nationalité ou de grade, y seront soignés par le capitaine-médecin Gaston Dieu.

18h : 5 fourgons hippomobiles allemands descendent la rue Ferrer, encadré d’une cinquantaine de fantassins. Elle s’immobilise lorsqu’elle aperçoit le char Stuart. Les soldats allemands prennent l’heureuse décision de se rendre.













La Libération de la Vieille Place.

18h30 : des forces allemandes remontent la rue des Alliés depuis les 4 pavés. Panique chez les citoyens qui s’enferment chez eux. Les soldats U.S. s’embusquent à la Vieille Place (actuellement croisement rue des Alliés et Hankar): une fusillade se déclenche. Une maison est percutée par un obus tiré d’un char américain. Un camion allemand transportant des munitions est touché. Il finit dans un véritable feu d’artifice. De nombreux soldats allemands s’égaient dans les rues et ruelles alentours. L’accrochage terminé, la colonne U.S. reprend la route.

Arrive alors de la rue d’Eugies, une colonne allemande forte de 5 ou 6 chars Panther couverts de branchages. Elles remontent à son tour la rue des Alliés en direction de la Vieille Place. Au même moment, Robert André, résistant, sort de l’Harmonie, un fusil à la main. Les prenant pour des américains, joyeux, ils les saluent ! Un chef de char allemand tire et blesse Robert. Le patron de l’Harmonie tente de lui prêter secours mais un soldat allemand achève tragiquement le résistant d’une balle dans la tête.

Le combat s’engage alors à la Vieille Place, entre la colonne allemande et l’arrière-garde du convoi américain. Le passage étant fermé, les allemands font demi-tour et s’engagent dans la rue Defuisseaux. Mais un blindé américain, en position dans la rue du commerce (actuellement la rue Roosevelt) tire un obus qui file à travers la rue de Lille puis la rue Rogier et pulvérise un fourgon hippomobile et ses occupants dont les reste sont projetés sur la façade d’une pharmacie.

La colonne allemande, ébranlée, se met à tirer sur la Maison du Peuple, qui est le Quartier Général des Milices Patriotiques. A l’intérieur, les résistants tiennent en respect une trentaine de prisonniers allemands.













17 maisons de la rue Ferrer sont détruites par une explosion.

Début de soirée du 2 septembre 1944. Les chars allemands reprennent leur progression et entreprennent de descendre la rue Ferrer. Une partie gagne le Carrefour de la Mort tandis qu’une autre stationne face au terril du charbonnage de l’Agrappe (« mont des écureuils). Au bout d’un moment le charroi se remet en route. Un side-car ouvre la route. Peu après le pont du berger, deux blindés américains ouvrent le feu. Le side-car est projeté dans les airs. Un véhicule semi-chenillé, puis un deuxième, un troisième sont mis hors d’état de nuire…

Vers 21h30, les troupes allemandes toujours coincées rue Ferrer décident de saboter les véhicules et le matériel. A 22h une formidable explosion pulvérise 17 maisons et en endommage 10 autres. Trente soldats allemands sont tués sur le coup, dont des blessés qui patientaient dans les ambulances. Chez les civils, c’est l’abrutissement. La station d’épuration de la rue Bois Bourdon, percée, laisse s’échapper des flots qui emportent bientôt le pêle-mêle tragique. Sept civils ont été blessés, pour la plupart aux yeux – l’un d’entre eux restera aveugle.

Pendant ce temps, de nombreuses escarmouches se produisent dans Frameries. De nombreux soldats allemands sont capturés par les résistants.

La nuit tombe enfin. Les tirs deviennent sporadiques. Les soldats U.S. postés aux blocages routiers veillent…

Le 3 septembre au matin, tragédie à la rue Achille Degrâce.

6h15, une colonne de fantassins allemands descend la rue Ferrer. Méfiants, ils ont le doigt sur la gâchette. Au moindre bruit suspect ils tirent à travers les portes et les fenêtres. Un peu plus tard trois voiture venant des 4 pavés sont détruites par le barrage U.S. toujours en poste à la Vieille Place.

7h. Un char allemand Panther venant du Cheval-Blanc s’arrête à Noirchain pour prendre de l’eau. Reprenant sa progression il tire sur un char Sherman qui bat en retraite. Le char finit par prendre la tête d’une colonne qui oblique vers Asquillies.

7h30, les paroissiens se rende à la messe dominicale à l’église Sainte-Waudru.

Soudain, une colonne allemande d’artillerie remonte depuis Flénu, par la rue des Dames. Elle se constitue d’une décapotable, d’un side-car, de trois semi-chenillés tractant des obusiers, d’une voiture Citroën et d’une camionnette atelier. Elle est accueillie par une vive fusillade. Un blindé américain se positionne près de la voiture criblée de balles et tire sur les autres véhicules. Les soldats allemands battent en retraite. Ils arrachent les volets des fenêtres pour en faire de civières.

Rue Achille Degrâce. Le café passe dans la maison de la famille Nisolle. Soudain, des soldats allemands surgissent et en expulsent de force les occupants. Comme le fils, Omer, 18 ans, fait un geste pour jeter sa cigarette (d’ailleurs américaine), il reçoit une balle dans le cou et s’effondre sur le trottoir. Horrifiées, sa mère et sa sœur se précipitent mais elles en sont empêchées et poussée au milieu du carrefour avec d’autres otages : une vingtaine de civils innocents.

Comme les véhicules détruits par le blindé brûlent toujours, une fumée épaisse empêche les soldats américains de voir la présence des civils. Une fusillade meurtrière se déclenche. Pris dans un feu croisé, Liliane Adam, 12 ans, tombe la première, rapidement suivie de sa mère, Irma, et de son père qui tombe sur le corps de son épouse. D’autres seront blessés… parfois, ironie du sort, par balle américaine*.

Un observateur américain a dû apercevoir la présence des otages. Les tirs cessent et les allemands en profitent pour se replier sur Flénu, abandonnant le reste des véhicules.













La marche de la mort.

8h, le dimanche 3 septembre 1944.

Léon Broché, résistant, a été chargé de conserver sous bonne garde les prisonniers allemands (34 !) à la Maison du Peuple. Deux SS tentent de s’enfuir. Léon, armé jusqu’aux dents, les ramène au bercail. Bientôt, les prisonniers seront remis aux troupes américaines… au grand soulagement du brave Léon!

Un bulldozer américain dégage la rue Ferrer des épaves qui l’encombrent. Dans la foulée, les combats de la rue des Dames se terminent. Médecins, aumôniers et personnel de la Croix-Rouge investissent les lieux.

10h. Une colonne américaine emprunte le pont du Berger, s’engage dans la rue des Alliés et s’en va vers Cuesmes. Les deux chars qui gardaient la Vieille Place leur emboîtent le pas.

Une heure plus tard, un semi-chenillé allemand tractant une pièce d’artillerie de 105mm déboule d’Eugies et coupe la colonne américaine, aux 4 pavés de Frameries. Les civils qui regardent défiler les troupes américaines se jettent au sol. Aussitôt, un canon antichar est mis en batterie. Le véhicule est touché. Des soldats allemands sont carbonisés dans et autour de l’engin qui s’est enflammé. Ceux qui parviennent à s’enfuir sont impitoyablement abattus par les soldats U.S. et les résistants. Un G.I. trouvera la mort devant l’actuel magasin de « chinoiseries » (anciennement « Shoe Post »).

13h30. Rue des Alliés. Deux résistants tiennent en joue quatre soldats allemands dont les bras sont levés en l’air. Lorsque les résistants font l’erreur de baisser leurs armes, les allemands les abattent.

Un résistant se voit confier la garde d’un groupe de prisonnier qu’il doit conduire de la rue Defuisseaux à l’école professionnelle. Lorsqu’aux 4 pavés, une patrouille allemande déboule d’Eugies. Il s’agit de l’avant-garde du kampfgruppe Wendling. Le résistant, sans perdre son sang-froid, ouvre la porte d’un magasin de liqueur et y pousse ses prisonniers. Lorsqu’un peu plus tard il entrouvre la porte et se trouve nez à nez avec un soldat allemand, la chance est avec lui car l’arme du soldat s’enraie. Le résistant s’enfuit précipitamment par les jardins. Lorsqu’il reviendra, il retrouvera ses prisonniers au même endroit…

La colonne allemande forte de 250 hommes d’unités disparates, de fourgons hippomobiles, et de divers véhicules dont un semi-chenillé tractant une pièce antichar, entreprend de descendre la rue des Alliés et la rue Rogier. Les soldats prennent des otages civils au passage, y compris un agent de police armé d’un revolver qui ne doit son salut qu’au fait de montrer sa carte de service. Les allemands étant vêtus de veste camouflées, Marcel Ottevaere les confond avec les américains. L’un d’entre eux le vise et tire. Il bat alors en retraite dans son magasin et s’y claquemure. Un soldat enfonce la porte et incorpore Marcel au groupe d’otages civils qui précède la colonne. C’est alors que va commencer la longue et terrifiant marche vers Mons.

Les otages, conscients du danger se mettent à raser les murs. C’est sans compter sur la cruauté de leurs gardiens qui leur ordonnent de rester bien au milieu de la chaussée… Tandis, qu’un poignée d’otages parvient à prendre la poudre d’escampette en se ruant dans des maisons, d’autres civils, littéralement cueillis sur le seuil de leur maison, sont incorporés. La colonne passe sous le pont de Crachet. Un peu plus loin, quatre résistants des milices patriotiques, qui fourbissaient tranquillement leurs armes dans une maison, face au charbonnage de Crachet, sont exécutés (de nos jours, une plaque commémore toujours cette exécution).

Un peu plus loin, un résistant est abattu. La balle entre par la mâchoire et ressort par la nuque. Laissé pour mort, il regagnera l’hôpital de Frameries où il sera soigné.

Par la suite, la colonne, toujours précédée des otages framerisois, au moment d’entrer dans Cuesmes, sera durement engagée aussi bien par des résistants que par des unités U.S. Elle tentera de se dégager en direction de la Malogne puis vers la route de Bavay. Les otages s’échapperont au fur et à mesure ou subiront un bien funeste sort.















Un soldat allemand amputé par deux framerisoises.

15h30. Des résistants prennent à partie un groupe de soldats allemands réfugié au charbonnage du Grand-Trait. Bilan : treize prisonniers .

16h. Des parachutistes allemands débouchent rue de Lille, emprunte la rue du commerce (actuellement rue Roosevelt) puis la rue de la Victoire, la rue Saint-Philomène, la rue Rodenbach avant de disparaître vers Flénu. A ce moment, 3 chars allemands descendent la rue des Alliés. L’un d’entre s’engage dans la rue des Déportés, les deux autres continuent vers Mons.

16h10. 200 soldats allemands équipés de camions et de chevaux prennent l’itinéraire suivant : rue Montavaux, de la Station, Sainte-Philomène, de la Victoire, du Commerce. A la Vieille place, ils se dirigent vers la rue des Dames et filent vers Flénu. Des retardataires de cette colonne se retrouvent bloqués à hauteur du terril de Crachet-Piquery : du sommet du terril, des résistants de l’Armée Secrète font la fusillade.

Rue Montavaux, Marie Liénard et ses deux filles assistent à la scène. Elles décident de porter secours à un blessé. Elles confectionnent rapidement un drapeau blanc, le rejoignent sur le pavé. L’homme est autrichien. Il a une cinquantaine d’années. Sa jambe est en très mauvais état. Il mime qu’il faut lui couper la jambe. Une des filles de Marie, Angélique, lui fait un garrot puis, rapidement, sans hésiter tranche la jambe sous le genou. Placé sur une brouette, l’amputé ainsi que d’autres blessés, sont conduits à l’hôpital de Frameries où un médecin major allemand, qui loge au dispensaire de la place Calmette, opère.

Différents coups de mains s’opèrent dans l’après-midi : pillage, capture de soldats allemands...

20h. Des forces allemandes venant de La Bouverie prennent d’assaut la ferme Lambert où se sont retranchés des unités américaines. Le feu se répand. Les allemands repartent bredouilles.

Le 4 septembre, la fin des combats.

Les derniers combats se déroulent. Des allemands se sont retranchés dans les fours à coke du charbonnage de Crachet-Piquery. Ils finissent par se rendre. Au milieu de l’après-midi, une colonne américaine défile sur la Vieille Place, en direction du pont du berger. C’est le combat command de la 3ème division blindée qui part vers Charleroi.

Arrivé au Carrefour de la Mort, un sniper allemand ouvre le feu. Une balle passe entre les jambes d’un MP posté au carrefour. Les mitrailleuse de 4 ou 5 semi-chenillés U.S. entrent en action. Le tireur embusqué parvient toutefois à prendre la poudre d’escampette.

De nombreux prisonniers allemands remontent la rue des Alliés en direction de Quévy. Ils y seront rassemblés dans les dépendances de la sucrerie.

Au soir, le Comité de Libération siège en toute tranquillité tandis que le gros de l’infanterie U.S. entre dans la localité.

Le 5 septembre, les obsèques de plusieurs victimes des combats seront données. L’Armée Secrète capturera encore 95 prisonniers au Nord de Frameries. 87 autres s’y ajouteront l’après-midi, sonnant la fin de la bataille de Frameries.


Avertissements : la Libération de Frameries est une orchestration complexe comprenant de nombreux mouvements, des actions de groupes et individuelles, relatées par des témoins, avérées par des recoupements, verrouillées par des historiens, et parfois flottant au grès des vents... Nous nous sommes donc concentrés, dans ce long texte, sur les principales actions du jour, sans minimiser aucunement la portée d’autres actions – dont certaines auront par ailleurs conduit des concitoyens à un funeste destin. A noter que les photos qui illustrent ce texte ont toutes été prises à Frameries.

Crédits & biblios : les informations et les illustrations proviennent de divers ouvrages et témoignages que nous prendrons la peine de mentionner ici par la suite - toutefois, croyez bien, comme cela est d'ailleurs mentionné en colonne de ce site, que les informations divulguées et les images montrées n'ont qu'un but éducatif et culturel.

NB:
*Madame, Monsieur.
Je viens de lire attentivement votre article concernant la libération de Frameries.
Je me présente: je suis le petit-fils de Marcel et Irma Adam et le fils de Marcel Jr, blessé lors des événements tragiques. La maman d'Irma avait aussi été blessée.
Selon feu mon papa et mon arrière grand-mère que j'ai eu la chance de connaître jusqu'à mes 21 ans, ces otages n'avaient pas été pris sous le feu des belligérants, mais DELIBEREMENT abattus par les soldats allemands. Liliane n'est pas morte sur le coup, sa mère non plus, cette dernière est morte après d'atroces souffrances. Seul mon grand-père était décédé immédiatement. Un journal de l'époque relatait ces faits aussi comme tel. De plus, il n'étaient pas dans la rue Degrâce et ça c'est certain, c'est dans la rue de Quaregnon que les faits se sont déroulés.
J'espère que vous aurez été intéressés par ces précisions.
Bien à vous.
Marc Adam

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